est l’une des plus importantes figures de la nouvelle mouvance du vin en Californie. Chez elle, exit les jus synonymes de « big flavour » ou marqués par une exubérance et déracinés du lieu d’où ils viennent. Sa démarche sensible et à l’écoute du vivant lui permet de brosser un portrait rafraîchissant et fougueusement authentique de son terroir natal. On a pris le temps de discuter avec elle de cet élément trop rare, précieux et essentiel au travail titanesque de la vigneronne : la patience.
Comment vas-tu ? Comment s’est passée la vendange ?
Bien ! Le principal souci cette année, ç’a été la canicule. Les températures sont montées jusqu’à 51 degrés Celsius. Les plus jeunes vignes n’ont tout simplement pas survécu. Mais les vieux plants, qui sont plus gros et ont plus de feuilles, ont été en mesure de protéger leurs fruits. Les raisins qu’on a récoltés sont superbes et tout goûte magnifiquement bon dans les cuves. Quand les aléas surviennent, je préfère me concentrer sur ce qui est positif et lâcher prise sur ce qui est hors de mon contrôle.
La résilience est de mise quand on est vigneronne… Et la patience aussi, n’est-ce pas ? C’est un mot que tu utilises souvent. Pourquoi ?
Parce qu’il me sert à expliquer plusieurs de mes idées, que ce soit en parlant du temps qu’il faut pour obtenir les certifications, du travail naturel à la vigne, de la non-intervention au chai, du respect humain ou de la transmission de la tradition et du savoir-faire. Par exemple, je vais évoquer la patience quand il est question de laisser revenir les insectes dans les vignes. Ça n’arrive pas d’un coup, immédiatement après avoir cessé d’épandre des pesticides.
Est-ce que c’est facile d’être patiente quand tout bouge vite ?
Non ! Nous vivons dans un coin de la planète où nous aimons la technologie, où l’on veut sans cesse innover et c’est fantastique à plusieurs égards, mais c’est aussi une course à la productivité. La Californie, tout particulièrement, est une cocotte-minute. Tout le monde ici monte sur le tapis roulant et normalement, plus ça va vite, plus il y a d’argent à la clé.C’est une obsession. Or, si on prône le ralentissement, comment faire pour être compétitif lorsque vient le temps d’acheter un bout de terre ou de l’espace pour faire du vin ?
Oui, comment faire ?
On y parvient grâce à la coopération et à la collaboration. On partage un chai entre vignerons et ça enlève de la pression financière. Il faut aussi sortir des sentiers battus : ce n’est pas parce que le reste du monde vinicole suit le modèle de « domaine » que nous devons faire pareil. Même si nous ne possédons pas de vignes, nous travaillons avec des familles qui cultivent les raisins, certaines depuis cinq générations. J’entretiens un rapport très étroit avec elles. Je suis à la vigne tous les jours. C’est une dynamique qui est différente de ce qui se passe en Europe et c’est parfois difficile à comprendre pour certains… Mais je préfère faire les choses plus lentement.
Si, disons, j’aime un vin à un moment précis de son évolution, je peux bien l’embouteiller… Mais il va continuer à changer. On ne peut pas le figer dans le temps. C’est comme dans le reste de la vie.
D’où te viennent ces idées ?
J’ai grandi sur un petit verger. On faisait du jus avec les amis et la famille à l’automne. On avait aussi un jardin. Toute jeune, j’ai eu la chance de savoir ce que goûte une très, très, très bonne pomme ou une tomate mûrie sur le plant. Puis je me suis mise à voyager, à rencontrer des gens et je me suis rendu compte que, si les choses continuaient à évoluer dans un certain sens, on aurait possiblement un jour affaire à une génération qui n’aurait pas accès à des aliments sains et locaux. Je fais ce que je fais parce que je ne veux pas qu’on perde cette expérience humaine de croquer dans un vrai fruit… Ou de savoir ce que goûte un vrai bon vin.
Et toi, Martha, es-tu patiente ?
Non [rires] ! Sans blague, je dois l’être un peu. Je me souviens d’un bulletin de deuxième année dans lequel mon enseignante disait quelque chose du genre : « Martha est super sociable, mais elle a aussi tendance à rester en classe pour terminer ses dessins alors que tous ses camarades sont sortis pour la récréation. » Ça me ressemble beaucoup. J’imagine que je suis une perfectionniste. La vérité, c’est que je peux être patiente quand j’ai une idée en tête et un plan pour la réaliser… Mais avec le vin naturel et la nature, ça ne fonctionne pas toujours comme on veut ! Il faut changer sa conception du contrôle et de la perfection. Ce sont les raisins qui nous guident.
Quelles sagesses le métier de vigneronne t’a enseignées ?
La notion d’impermanence, le fait qu’on ne peut s’accrocher à rien. On ne peut rien retenir. Si, disons, j’aime un vin à un moment précis de son évolution, je peux bien l’embouteiller… Mais il va continuer à changer. On ne peut pas le figer dans le temps. C’est comme dans le reste de la vie.
Quel moment « parfait » as-tu vécu dernièrement ?
L'autre jour, je discutais avec les stagiaires qui nous accompagnent pour la vendange, si épanouis malgré la fatigue. Une m’a dit : « Je n’ai jamais été aussi heureuse. » Des instants comme ceux-là illustrent toute la beauté que peut créer l’union entre la nature et les humains. Et ça, c’est la perfection.