PORTRAIT DE VIGNERON
1 juin 2023
MARCO TAIT
AMPELEIA, TERRE PROMISE
Emilie Villeneuve
MARCO TAIT
Photographies : Emilie Villeneuve

Il fuit la lumière qui le suit et la braque aussitôt sur ceux qu’il appelle gente di Ampeleia, cette petite bande rassemblée autour d’un idéal, dans un paradis toscan. Là, on suit les principes de la biodynamie, on embrasse la biodiversité, on cultive ses légumes, on élève des animaux et on vit en étroite communauté. Surtout, on fait du vin qui vibre de toute cette ardeur et de cette curiosité.

I MIGHT SAY YES
I MIGHT SAY YES

Avril est morne et Montréal prend ses airs tristes, comme si elle s’ennuyait déjà de l’hiver qui la quitte trop lentement. Sur les marches d’un immeuble grelotte un grand homme au sourire timide. C’est Marco Tait qui est arrivé à l’avance à notre rendez-vous et n’ose pas entrer. Je le reconnais sans l’avoir jamais vu tant il n’a pas l’air à sa place au milieu de cet avant-midi gris.

Mon italien est tout aussi inexistant que son français et son anglais est approximatif. Ce jour-là, on parlera tout de même durant presque une heure avant de partager un repas et, oui, on se comprendra. Notre rencontre, somme toute formelle durant laquelle on discute vin et agriculture, se soldera par une invitation – probablement lancée sans réelle intention : « Dovete venire a vederlo di persona. » Et ma réponse toute aussi peu sérieuse : « Be careful, I might say yes. » Sauf que je le fais. Je m’invite à Ampeleia quelques mois plus tard.

EXTRAMUROS
EXTRAMUROS

La route est longue depuis Turin. Elle se déroule comme un ruban qui enserre les contours de la mer Ligurienne et perce les montagnes. Le mercure grimpe sur la Maremme (comme sur toute l’Europe d’ailleurs) et même une fois le soleil bien bas, la terre exhale encore une chaleur intense.

J’aimerais ne pas verser dans les clichés, éviter de parler des grillons, des lueurs roses et des éclats lumineux qui piquent les rochers toscans, de l’odeur d’herbes séchées qui prend au cœur. J’aimerais trouver des mots qui transportent des images nouvelles, mais je craindrais de passer à côté de la beauté troublante de Roccatederighi en tentant une description plus originale.

La nuit est sur le point de naître quand j’arrive dans ce petit village fortifié, taillé à même le roc sur lequel il est érigé. Les 800 âmes censées l’habiter se font discrètes, si l’on oublie les chatons qui déambulent paresseusement dans les rues étroites.

La maison de Marco est située hors des murs. C’est un jumelé modeste et lumineux qui sent bon la focaccia tout juste sortie du four. « Je suis vraiment content que tu sois là. » Il m’accueille comme si on se connaissait depuis longtemps, comme si son invitation était sincère. Assise à sa table alors qu’il s’affaire en cuisine, j’ai l’intuition qu’il m’a fallu me rendre jusqu’ici pour percer un tout petit peu le mystère de cet homme qui parle peu et le plus souvent, au « nous ».

J’aimerais ne pas verser dans les clichés, éviter de parler des grillons, des lueurs roses et des éclats lumineux qui piquent les rochers toscans, de l’odeur d’herbes séchées qui prend au cœur.

DEVENIR AMPELEIA
DEVENIR AMPELEIA

Né dans la région du Trentin, au cœur des Dolomites, Marco est fils de fermier. Son père travaillait au vignoble d’Elisabetta Foradori. « Toute ma vie, je l’ai passée à la vigne et dans la nature. J’ai étudié la viticulture et l’œnologie pour pouvoir vivre ainsi. » Ses vingt premières années d’existence, il les a donc vécues parmi les sommets enneigés, aux limites de l’Autriche et de la Slovénie. Le teroldego a été son premier amour et la philosophie de l’illustre famille Foradori, le terroir dans lequel ont germé ses premiers principes.

À vingt ans, il est débarqué en Toscane pour superviser un projet initié par Elisabetta Foradori et Giovani Podini. La vigneronne était tombée amoureuse d’un domaine aux frontières d’un petit village de la Maremme : Roccatederighi. Cela devait être quelque chose de temporaire. Marco mettrait la machine en marche et filerait vers d’autres vignes. Vingt ans plus tard, il y est toujours, plus investit que jamais, et il a créé un microcosme autour d’un idéal d’agriculture et d'un mode de vie respectueux des écosystèmes. Aujourd’hui, les sols sont plus riches et vivants qu’ils ne l’étaient au départ et des vaches se promènent sur la propriété.

« J’ai eu la chance de voir croître la vigne et j’ai moi aussi grandi en tant que personne », confie-t-il alors qu’on se rend dans son vieux pickup aux parcelles de Sassoforte situées à une trentaine de minutes d’Ampeleia. J’ai demandé à prendre des photos dans la lumière rasante du matin. Il est cinq heure trente et quelques jours sont passés depuis mon premier repas chez Marco. J’ai eu le temps d’explorer le domaine, d’écrire, de manger de la salade du jardin et d’échanger avec les deux Simona, Francesco, Roberto et les autres adorables membres de l’équipe.

« Les rencontres sont fondamentales pour évoluer comme individu, reprend le vigneron comme s’il m’avait entendu penser. Le Marco que j’étais en arrivant à Ampeleia n’est pas celui que je suis aujourd’hui. » Il explique qu’il se faisait encore plus discret et qu’il passait 100 % de son temps dans la vigne et au chai. Je soupçonne aussi une grande timidité qui s’estompe légèrement, avec le temps. « Il y a dix ans, on avait du mal à trouver des gens pour travailler au domaine. Maintenant, les jeunes débarquent. Certains restent, d’autres partent, mais ils apportent très certainement une énergie nouvelle. Ce sont les personnes qui font le domaine. »

Qu’est-ce qui s’est passé, selon lui, pour que le vent tourne ? « J’ai l’impression que la viticulture évolue sur des cycles de dix ans. Ce sont des phases, tout simplement. Il y a dix ans, nous vivions une période plus difficile. Ç’a aussi été le moment de transition vers la biodynamie. Puis, on a changé les cuvées et développé Unlitro [NDLR : qui est maintenant l’un des vins phares du domaine et dont les volumes permettent une plus grande stabilité financière]. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on entre dans une phase où nous devons parler de ce que nous faisons, de ce pourquoi nous travaillons selon nos principes. On doit rester humbles, mais avoir le courage de dire qui nous sommes. »

J’ai eu la chance de voir croître la vigne et j’ai moi aussi grandi en tant que personne.

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Marco Tait
SILENZIO
SILENZIO

Sa voix calme nimbe les silences qui s’installent confortablement entre nous dans l’aube naissante alors qu’on arrive à Sassoforte. Les sept parcelles plantées de carignan, mourvèdre, alicante nero et de quelques variétés de raisins blancs sont entourées d’arbres et séparées par des buissons peuplés de vie. Marco pointe deux faons sur la trace de leur mère, qui détalent aussitôt entre deux rangs de vignes. Il saute hors de la voiture et marche très vite vers les plans qu’il se met à inspecter un à un. À un rythme effréné, avant que le soleil ne monte trop haut, il retourne les feuilles et gratte le sol. Une heure durant, j’essaie en vain de prendre des photos, mais mon sujet ne tient pas en place.

À Ampeleia, on m’a raconté qu’il y a de cela quelques vendanges, Marco est tombé dans un trou et s’est bousillé un genou. Personne n’a été témoin de la chute et le vigneron a tant bien que mal essayé de dissimuler l’incident à ses collègues : il fallait à tout prix éviter de s’arrêter ne serait-ce qu’un instant et malgré la douleur. C’est ce à quoi je pense en le voyant s’affairer avec énergie, que rien ne semble pouvoir l’arrêter. De retour dans le camion, je lui demande ce qui le motive et le pousse à continuer ainsi.

Il me regarde sans vraiment comprendre le sens de ma question. Ou plutôt si, il capte parfaitement mais la trouve ridicule. Je rougis et fixe l’amulette de ganesh qui se balance sous le rétroviseur. La réponse est évidente et je la connais déjà : ce travail, c’est toute sa vie.

Ce soir-là, il m’invite à prendre un verre de rosato assis sur l’un des rochers couleur terre de Sienne qui surplombent la vallée. Il désigne du menton les conifères partout autour, ces rassurantes forêts gages de biodiversité, cet espoir qui verdit en lui et l’aide à croire en la suite du monde. On reste sans rien dire jusqu’à ce que l’horizon borde le soleil.

Je saisis maintenant que l’invitation faite à Montréal était sincère. Que pour comprendre un vin, un lieu, une personne, les mots souvent, peu importe la langue, ne suffisent pas.

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