PORTRAIT DE VIGNERON
17 octobre 2022
JEAN-CLAUDE CHANUDET
LA PATTE DU CHAT
Emilie Villeneuve
JEAN-CLAUDE CHANUDET
Photographies : Celia Spenard-Ko et Emilie Villeneuve

Le surnom remonte à si loin que personne ne s’accorde sur ses origines. Il n’en demeure pas moins que, pour tous ceux qui le connaissent de près ou de loin, Jean-Claude Chanudet est « Le Chat ». Mais au-delà du gentil sobriquet, il est un pionnier, un agitateur, une légende vivante du Beaujolais. Au front de la révolution « nature » des années 1980 et 1990 avec des compagnons d’armes tels que Marcel Lapierre, Jean Foillard, Guy Breton et Jean-Paul Thevenet, il est aussi le témoin privilégié de l’évolution vitivinicole des dernières années. Invitation à la table des Chanudet, par un mercredi soir de juillet.

CHEZ LE CHAT
CHEZ LE CHAT

C’est la fin de l’après-midi sur le Chemin de la Grenouille. La lourde porte s’ouvre sur la cuisine où je suis renversée par un torrent de pattes, de queues, de poils caramel et blond. Quatre chiennes de race labrador, un fort courant de joie sonore qui vous happe, vous lappe et vous aime instantanément. Le Chat est là, à farfouiller dans le réfrigérateur, se réveillant probablement de sa sieste quotidienne sur le divan du salon. C’est qu’il est debout depuis la frange du jour à veiller sur ses parcelles éparpillées autour de Villié-Morgon, sillonnant le pays qui l’a vu naître dans sa camionnette blanche.

Grand, large d’épaules, des mains toutes puissantes qui savent réparer un tracteur en moins de deux, on pourrait dire que Jean-Claude Chanudet est taillé à même le granit rose des terroirs du coin. « T’as faim ? » Pas de fausses politesses, de small talk, de questions rhétoriques dont il n’a que faire des réponses. On ne se connaît pas et il m’accueille chez lui comme si j’étais sa nièce ou une amie de sa fille, Jeanne. On l’attend pour le dîner, d’ailleurs. Elle a été retenue à la clinique vétérinaire où elle travaille, mais elle ne devrait plus tarder.

Geneviève, maîtresse des lieux, arrive d’on ne sait où avec de magnifiques légumes sous le bras. L’accolade est chaleureuse et sincère, le regard bleu derrière les lunettes est d’une grande douceur. Les assiettes de charcuteries et les salades sont posées directement sur le bois patiné de la table. Le mouvement des chiens annonce l’arrivée de Jeanne bien avant que le portail de métal ne grince. Après l’accueil débordant d’affection canine, on prend place pour le repas.

Geneviève et Jean-Claude Chanudet
NEUF VIES
NEUF VIES

C’est Geneviève qui explique la genèse du Domaine Chamonard : « Mes parents étaient propriétaires de 1,8 hectares. C’était une toute petite exploitation qu’ils tenaient de leurs parents avant eux. » Jean-Claude poursuit : « Nous, on avait un autre travail. On vendait des bouteilles et des bouchons. »

En réponse à mon commentaire naïf sur la proximité de leurs activités avec le monde vinicole, le Chat lâche gentiment : « Ben tu sais, ici, on est tous issus du vignoble. Y’a que le curé et le boucher qui n’ont pas de vignes. Et encore, le boucher, il en a ! » À la mort du père Chamonard en 1989, ce sont donc les Chanudet qui reprennent les parcelles et qui, au fil des bonnes affaires dans la verrerie, achètent peu à peu d’autres terres autour de Villié-Morgon.

À traîner dans le Beaujolais depuis quelques jours, j’ai entendu plus d’une histoire sur les OG du vin nature : les Jean Foillard, Marcel Lapierre, Guy Breton, Jean-Paul Thevenet, Jean-Claude Chanudet et autres disciples de Jules Chauvet, inscrits en faux contre la standardisation et la sélection des levures, le beaujo banane et l’administration. Assise sur le bout de ma chaise, je suis tout à fait consciente que c’est une légende vivante qui rompt devant moi le pain de ses belles paluches calleuses. Et comme c’est le cas de toute bonne légende, c’est sa véritable histoire qui est encore plus intéressante que le mythe.

Ici, on est tous issus du vignoble. Y’a que le curé et le boucher qui n’ont pas de vignes. Et encore, le boucher, il en a !

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Le Chat
COUPS DE GRIFFE
COUPS DE GRIFFE

Pour bien comprendre l’ampleur des luttes menées par cette bande d’irréductibles, il faut se rappeler les politiques en agriculture qui ont eu cours entre 1960 et 1990 et qui visaient de hauts rendements. Dans les champs comme dans le vignoble, on s’est mis à chercher l’abondance et la conformité. Au chai, on a voulu gagner en contrôle. C’est ainsi que les pesticides et autres arrosages, les sulfites, le traitement thermique et l’ajout, par la suite, de levures sélectionnées ont vu le jour.

« Dans les années 1980, les copains et moi, on s’est mis à lutter contre le rouleau compresseur qui nous imposait des façons de travailler. On était des emmerdeurs et on a emmerdé toute la profession simplement parce qu’on a continué à faire nos vins comme nos grands-parents les faisaient. »

Jean-Claude s’énerve d’ailleurs un peu quand on juxtapose les mots « vin » et « nature ». « Comme si c’était un nouveau concept ! Mais on n’a rien inventé ! Pourquoi faut-il que tout ait un nom aujourd’hui ? »

Pendant que son mari reprend son souffle, Geneviève glisse doucement : « On fait seulement du vin comme il devrait être fait… On aura vraiment gagné quand on n’aura plus de logo à mettre sur les bouteilles et que c’est l’ajout de produits chimiques qui devra être mis en évidence sur les étiquettes. »

Aujourd’hui, après des décennies à tenir le fort, elle est (enfin !) révolue l’époque où on refusait l’appellation à des vins faits avec des levures indigènes parce qu’ils ne goûtaient pas « comme les autres ». Les Chanudet attribuent les succès des défenseurs du Beaujolais nature à leur ténacité et à leur nombre.

Bien que modeste, la résistance villiatonne (oui oui, les habitants de Villié-Morgon sont les Villiatons !) a été l’organe vital d’une révolution qui a largement dépassé les frontières de la région. « Il fallait qu’on soit ensemble pour résister à ça. Une seule personne n’aurait jamais pu réussir. » Et ce sens du collectif continue à percoler dans le discours du Chat aujourd’hui devenu, comme ses compagnons de combat, un nom qu’il fait bon name dropper dans un bar à vin : « Ce dont je suis le plus fier, c’est qu’ensemble on a tenu ce fil rouge entre les vinifications de la génération de nos pères et on a pu le confier à la jeunesse. »

Il fallait qu’on soit ensemble pour résister à ça. Une seule personne n’aurait jamais pu réussir.

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Le Chat
LES CHATS NE FONT PAS DES CHIENS
LES CHATS NE FONT PAS DES CHIENS

Avant que leur fille n’arrive du boulot, Geneviève et Jean-Claude m’ont confié ne jamais l’avoir poussé à suivre leurs traces. Elle avait choisi la médecine vétérinaire après tout. Ils avaient donc conclu en toute logique qu’il n’y aurait pas de suite au Domaine Chamonard.

Mais Jeanne a vu les choses autrement. En glissant un bout de fromage à sa chienne sous la table, elle explique : « J’ai quitté le Beaujolais après mes études, puis je me suis rendu compte que la vigne me manquait. Ce qui m’attire, c’est le stress et l’activité au moment des vendanges et des vinif. J’aime aussi essayer de contrôler ce qui n’est pas contrôlable. J’observe mes petites levures et mes bactéries au microscope. C’est pas si différent des bestioles après tout. »

Jeanne reprend donc tranquillement les activités du domaine. Bientôt maman, encore vétérinaire à plein temps, elle entrevoit de manière très relaxe la superposition de plusieurs tâches et responsabilités : « Moi, quand c’est trop facile, je m’ennuie. Et puis, l’avantage du métier de véto, c’est qu’on apprend à se débrouiller. »

« Il y a encore tant de choses à faire que t’auras pas assez d’une vie », fait valoir le patriarche et sa fille de répondre du tac au tac : « C’est ça qui est sympa. Sinon, ça serait chiant. »

Jean-Claude et Jeanne me semblent taillés dans le même moule. Pas question de routine et de certitudes sous ce toit. Savoir que l’on va faire les mêmes vins année sur année ou même aspirer à ce genre de résultat, ce n’est pas le style de la maison. Ici, on marche consciemment sur le fil : « Quand tu travailles avec la chimie, tu as une ligne de conduite qui te permet d’éviter les risques. Faire du vin naturellement, c’est accepter de toujours frôler la sortie de route. »

Jeanne et Jean-Claude Chanudet à la vigne

Moi, quand c’est trop facile, je m’ennuie. Et puis, l’avantage du métier de véto, c’est qu’on apprend à se débrouiller.

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Jeanne Chanudet
LES SOURIS DANSENT
LES SOURIS DANSENT

Entre deux dernières bouchées, je demande au duo père-fille s’il croit que ça sera plus facile pour la nouvelle génération. La réponse fuse en échos des deux côtés de la table. « Commercialement, oui », dit Jeanne. « Mais la climatologie a changé, précise Jean-Claude. C’est de plus en plus difficile de faire du vin. » Il m’apparaît clair que cette perspective n’a rien de crispant pour l’héritière d’un patrimoine qui dépasse largement les 5 hectares de précieuses vignes.

Les chiens dorment maintenant. Le Chat s’étire, il a dépassé son heure. Je reste à la cuisine avec Geneviève et Jeanne pour ranger et me resservir un verre de Fleurie. Dehors, la lune est immense et rose, un phénomène rare et merveilleux. Il y a aussi la rumeur des insectes, l’ombre des vallons sillonnés de vignes et un ciel parfaitement dégagé. On reste là en silence, devant les volets ouverts qui percent une grande glycine en fleurs, à regarder l’astre jusqu’à ce qu’il pâlisse un peu. Il y a du beau dans ce coin de pays.

Je suis invitée à dormir dans le bâtiment des vendangeurs qui jouxte la maison des Chanudet. En attendant le sommeil, je repense aux mains du vigneron. Je me dis qu’elles ont fait plus encore que conduire la vigne et réparer la machinerie : elles ont tenu des convictions à bout de bras. Elles ont bâti un pont et nous ont menés jusqu’ici.

Qu’est-ce que ça goûte ?
Cuvée du Chat

ÇA SENT BON, C’EST SUPER FRUIT! C’EST FRAIS, C’EST LÉGER, C’EST TOUT EN HAUTEUR! UN VIN DIGESTE.

Qu’est-ce que ça goûte ?
Clos de Lys

C’EST D’UNE DÉLICATESSE. C’EST TRÈS, TRÈS JOLI. ÇA RAPPELLE LE FRUIT FRAIS, LE FRUIT FRAIS D’ÉTÉ !

ON VOUS TIENT AU JUS !

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