PORTRAIT DE VIGNERON
9 mars 2023
KARIM VIONNET
ENFANT DU NATURE
Emilie Villeneuve
KARIM VIONNET
Photographie : Célia Spenard-Ko

On dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Parfois aussi, il faut un enfant pour ouvrir un peu les horizons d’une communauté. L’histoire de Karim Vionnet en est une de résilience et de racines nouvelles.

LACETS ET RACINES
LACETS ET RACINES

Voilà plusieurs mois que nous échangeons textos, courriels et messages vocaux, à la recherche d’un petit moment pour se voir. Rien ne semble coller jusqu’au dernier moment où il me dit : « C’est le 14 juillet et la fête des conscrits. On peut se voir si tu me suis. » Je débarque donc chez lui et j’ignore complètement ce qui m’attend.

Heureusement, il y a quelques heures pour aller à la vigne et au chai et surtout, pour que Karim se raconte avant de rejoindre les copains. Sitôt devant sa porte, on monte dans sa camionnette en direction des parcelles qu’il possède à Saint-Étienne. Fenêtres baissées, le vigneron salue sans relâche les connaissances que l’on croise à toute vitesse sur les petites routes en lacet. On ralentit à peine pour éviter un face-à-face. « Elle s’en fout complètement, la vieille ! »

Ces jours-ci la France collectionne les records de chaleur. Ça s’entend à nos pas bruissant sur les foins séchés qui courent entre les ceps. Un parfum légèrement vanillé monte, exalté par les rayons. Il faudrait désherber pour laisser ce qu’il reste d’eau aux raisins, fait remarquer Karim.

Sauf que les travailleurs saisonniers sont en vacances et la somme de boulot est énorme pour sa fille Noémie et lui. En caressant le bout d’une feuille de sa paume ouverte, il se désole pour la plante : « Elle souffre la pauvre. Elle va devoir aller chercher ses ressources plus loin dans le sol. » Mais les fruits sont là, verts, pleins. « Ça ne va pas tarder à vérer. » Déjà à la mi-juillet, une promesse pend au bout des sarments. Il y a bien quelques baies qui affichent les balafres de la grêle de juin, mais l’essentiel de la récolte à venir semble pour le moment sain et sauf : un souci de moins sur la longue liste des emmerdes possibles. Qui plus est, les pieds sont lourds de plus d’une vingtaine de grappes (eux qui en portent en moyenne huit !). « J’ai jamais vu autant de raisins ! », s’exclame celui qui en a vu d’autres. Beaucoup de fruits, mais pas d’eau en vue… Les temps sont fous et la vendange à venir, incertaine.

BEAUJO PUR BEUR
BEAUJO PUR BEUR

Karim connaît chaque recoin de chaque parcelle et comprend profondément — bien au-delà de tout ce qui peut s’enseigner à l’école de viticulture — l’influence des éléments. Ce terroir sableux est son refuge depuis tout petit.

Né à Lyon, Karim a été placé par un service d’aide à l’enfance dans une famille de Villié-Morgon à l’âge de dix-sept mois. « Ils m’ont adopté quand j’ai eu sept ans. On était quatre gamins. Mon père était charpentier, il ne gagnait pas des masses. J’ai commencé à bosser dans la vigne à 11 ans pour qu’on puisse s’acheter des trucs. Après, comme premier vrai métier, j’ai fait boulanger. » Pourquoi la farine avant le raisin ? « Oh, parce que je me tenais avec les filles du boulanger et que je me suis bien entendu avec leur père. » L’attention de Karim est divisée entre la route et le récit de sa vie qu’il livre par minuscules bribes. Les pauses sont longues et le fil des idées, difficile à suivre. Au bout d’un moment, il lâche : « Le courant ne passait pas super bien avec ma mère. Elle me disait toujours “tu ouvriras ta gueule quand tu gagneras ton pain”. C’est ce que j’ai fait. Après, je suis parti à l’armée. »

Au retour, ç’a été la vigne. Il bossait en conventionnel de jour et, le soir, il traînait avec Lapierre et Polpo Thévenet, avant de travailler auprès de P’tit Max puis de mettre la main sur ses deux premiers hectares. « En 2006, un pote japonais qui avait fait un stage chez Max est venu me voir avec un de ses amis en visite. Ce gars-là m’a dit qu’il voulait acheter mon vin. Je me suis débrouillé pour me trouver de la vigne ! »

Je suspecte qu’il en a un peu marre de raconter son histoire, ses origines et ce prénom qui marque au fer rouge dans une région plutôt homogène. On s’arrête à un nouveau stockage pour les bouteilles, ce qui lui donne l’occasion de changer de sujet. Une voisine se plaint du bruit du climatiseur. Il faudra trouver une solution.

Des plis se creusent momentanément sur le front du quinquagénaire, mais son grand sourire révélant ses dents du bonheur revient vite. La perspective de rejoindre les amis pour l’énième journée de fête en ligne le réjouit. « Tu aimes les cuisses de grenouille ? » Je comprends de moins en moins la trajectoire que je suis en train de suivre. Il m’explique brièvement qu’on passe au café avant une petite cérémonie en l’honneur des conscrits, puis direction le village voisin pour déguster des batraciens.

En 2006, un pote japonais qui avait fait un stage chez P’tit Max est venu me voir avec un de ses amis en visite. Ce gars-là m’a dit qu’il voulait acheter mon vin. Je me suis débrouillé pour me trouver de la vigne !

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Karim Vionnet
Karim Vionnet et sa fille Noémie
RETOUR AU VILLAGE
RETOUR AU VILLAGE

Alors qu’on descend vers le centre qui a été habillé de fanions pour la fête, les salutations continuent à jaillir à chaque pas. La cérémonie ne va pas tarder, il est temps de boucler l’interrogatoire. Comment c’était, l’enfance dans ces petites rues enroulées sur elles-mêmes ? « Tu vois, tout le monde est gentil avec moi maintenant », laisse-t-il tomber.

Oui, Karim a fait ses marques, repris avec panache l’héritage des irréductibles du Beaujolais auprès desquels il a appris. Surtout — ça se sent quand on foule avec lui le pavé — il a gagné les cœurs à force de bonhomie et de générosité. Mais celui qui fait avec fierté un Beaujolais-Villages appelé Du Beur dans les pinards n’a pas oublié les coups dans les mollets que lui donnaient les autres gamins, quand il était petit. En guise de réponse, il a planté ses racines au plus profond de ce terroir et est allé y puiser la force de s’affirmer, en faisant chanter le gamay.

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