De plongeur dans un resto à vigneron, la trajectoire de Pax Mahle fait penser à un road trip. Né en Floride, il a vécu dans le Maine avant traverser le pays pour s’établir dans le nord de la Californie. Ce qui l’a mené par le bout du nez ? Son amour sans borne pour tout ce qui touche le vin. Tant et si bien qu’il a voulu en faire. Après avoir contemplé l’idée de déménager en France ou en Italie pour poursuivre son rêve, il a décidé de poser ses valises dans l’État doré. Celui pour qui l’identité de terroir est primordiale s’est mis en tête de comprendre les microclimats et les sols californiens, au point de redessiner la carte viticole et révéler au monde une nouvelle Californie. Au cours des deux dernières décennies, il a ouvert un chai collaboratif et entraîné à sa suite une génération de vigneronnes et vignerons. Celui qui fait les plus épatantes syrahs que le continent américain ait produites nous a reçus à la Pax Winery à Sebastopol et raconté comment toute cette histoire a commencé.
Comment le vin est-il entré dans ta vie ?
Quand j’avais 14 ans, j’ai voulu avoir un bateau. Pour prouver à mes parents que j’étais responsable, j’ai dû acheter l’embarcation en plus de payer pour les assurances et l’essence. J’ai trouvé du travail comme plongeur dans un restaurant. J’ai fait ça pendant des années. Je suis devenu busboy, serveur, barman, assistant-sommelier, puis sommelier.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir vigneron ?
À l’époque, soit tu venais d’une famille qui était dans cette industrie, soit tu étudiais l’œnologie à l’université et tu arrivais dans cet univers avec une vision très scientifique de la chose, souvent en tant que consultant. Moi, je suis né en Floride et j’ai vécu sur la côte Est. Je suis un amoureux du vin. Mon moteur, c’est cet amour. J’ai fait ma maîtrise en sommellerie, je savais tout ce qu’il y avait à savoir sur le vin, mais je n’en avais jamais fait.
Raconte-nous comment tu t’es retrouvé sur la côte Ouest.
Honnêtement, je savais que la Californie faisait du vin comme je savais que l’Australie ou l’Argentine en faisaient, mais je n’avais aucune notion des terroirs d’ici. Je me suis retrouvé en Californie par un concours de circonstances, plus précisément à St Helena, dans la vallée de Napa. Avec ma femme, on s’est arrêté à l’épicerie pour s’acheter un sandwich et là, deux hommes discutaient de la culture de la vigne. Je me suis dit : « Oh mon dieu, ces gars-là font pousser du raisin… C’est leur vie ! » Et j’ai annoncé à ma femme que je voulais absolument déménager en Californie.
Je suis un amoureux du vin. Mon moteur, c’est cet amour.
Cette vision très précise et, disons-le, avant-gardiste des terroirs californiens, d’où vient-elle ?
En arrivant ici, j’ai travaillé pour Dean & DeLuca, au développement du portfolio des vins californiens. [NDLR : Une chaîne d’épicerie de luxe américaine, disparue en 2020.] J’ai eu le boulot parce que j’ai de l’entregent, pas parce que je connaissais quoi que ce soit aux vins de la région. Je me suis éduqué moi-même en me donnant des repères par rapport aux grands terroirs du vieux continent. Je me demandais : où est Chassagne-Montrachet ? Où est Pomerol ? Où est la Côte-Rôtie ? Je me disais par exemple : ici, il y a des galets, il fait chaud, c’est parfait pour cultiver des variétés du Rhône Sud.
Mais ici, on fait pousser du pinot noir à côté du grenache et du cabernet et ça me rendait fou. Quand je goûtais de la syrah… Il y avait de belles syrahs sur la côte Centrale, mais la plupart étaient plutôt solaires. Puis, il y avait des vignobles du nord de l’État qui produisaient un tout petit peu de syrah et j’imaginais un grand potentiel. Je me suis dit que ça serait vraiment bien si un vigneron du Nord se concentrait sur la production de syrah.
Et c’est comme ça que Pax Winery est née ?
Ça n’a pas été si simple. En 2000, j’ai cherché un investisseur et un winemaker. On a acheté de vieux tonneaux, on a trouvé des viticulteurs des secteurs qui m’intéressaient prêts à nous vendre leurs fruits. Tous mes amis étaient là pour recevoir les premiers raisins. Le winemaker nous a dit de tout égrapper et de mettre ça dans la cuve. Il fallait ajouter des chimies pour faire descendre le taux d’alcool et augmenter l’acidité, des levures spécifiques pour la syrah, etc.
Quelle a été ta réaction ?
Je me disais qu’il savait ce qu’il faisait. Mais ça me chicotait. Le lendemain, je lui ai demandé pourquoi on devait ajouter tous ces trucs dans le raisin et je lui ai dit : « Sur l’ancien continent, il arrive que l’on foule encore le raisin au pied et on le laisse fermenter naturellement, sans rien y ajouter. » Il m’a répondu que c’était tout simplement impossible de faire du vin de cette manière en Californie.
J’ai planifié la seconde vendange sans en parler au winemaker. J’ai fait livrer les raisins au chai et j’ai fait mon truc tout seul, pour essayer. À ce jour, ce deuxième vin est encore délicieux et celui qu’on a fait avec les premiers raisins est encore imbuvable. On peut dire que c’est à ce moment-là que je suis devenu vigneron.