On est comme ça nous, les humains. Parfois, on a peur de rater le bateau, la fête, de manquer de temps. Alors, on encadre, on lamine, on couche la belle quille en cave dans un effort de freiner le cours des choses. D’autres fois, on s’abreuve comme à une source éternelle. On fait semblant d’oublier qu’un jour, elle se tarira peut-être.
Certes, on a vu disparaître des artistes et, avec eux, la possibilité de nouvelles œuvres. Mais leurs créations demeurent et nous émeuvent à travers les âges depuis les murs des musées ou le son porté par les haut-parleurs. Ainsi, les chansons de groupes dissolus résonnent encore longtemps les soirs d’automne.
Mais qu’en est-il des fruits du travail de l’artisan ? Du dernier arrivage d’un vigneron soudainement disparu ? Il y a tout juste un an, on accueillait les cuvées d’Olivier Lemasson avec excitation. Aujourd’hui, c’est la gorge nouée qu’on attend la cargaison.
Cet homme était une star malgré lui, l’un des vignerons les plus respectés de sa génération dans les cercles nature. Au fil des ans, il avait atteint une véritable maîtrise de son art. Sans tricher jamais, il faisait les canons qu’il avait envie de boire, des vins pour célébrer le quotidien.
Parfois on s’abreuve comme à une source éternelle. On fait semblant d’oublier qu’un jour, elle se tarira peut-être.
Et c’est toujours ainsi qu’on a apprécié Lemasson. Sans se prendre la tête, comme s’il n’y avait pas de lendemain. Ces quilles de plaisir ne restaient jamais bien longtemps à l’horizontale et c’était bien ainsi. Après tout, on en aurait d’autres dans quelques mois. Or, en juin dernier, la source s’est tarie et 2020 sera l’ultime millésime des Vins Contés.
Bien qu’on ait envie d’en cacher des caisses pour tenter de préserver ce qui reste de notre ami, il faudra être courageux. Ces vins ont été pensés dans un esprit d’immédiateté qu’on devra honorer malgré la tristesse. Chacun des « pop » de bouchon se voudra un hommage sans cérémonie. Profiter de chaque gorgée et du moment sera impératif. C’est ce qu’il aurait voulu Olivier : que l’on ouvre le dernier arrivage pour le boire au goulot.